mercredi 19 mai 2021

JEAN DE LA FONTAINE ET LE ROI

-Portrait de Jean de la Fontaine réalisé par Hyacinthe RIGAUD-
-Musée Jean de la Fontaine à Château-Thierry-


"La raison, du plus fort est toujours la meilleure."
(Le loup et l'agneau)

-Illustration de la fable par Gustave Doré-





Jean de la Fontaine publie son premier recueil de fables en 1668 dont « le Corbeau et le Renard » est l’extrait le plus célèbre.

 Il y dénonce celui qui accepte les vaines flatteries alors pratiquées à la cour de Louis XIV.

 Le roi se sentant visé prend ombrage et n’invitera jamais son auteur à Versailles et ne lui accordera aucune pension comme c’était l’usage.

 La morale de cette fable est effectivement sans équivoque : « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ».

-Première illustration de la fable-

 LE CORBEAU ET LE RENARD

       Maître Corbeau, sur un arbre perché,
           Tenait en son bec un fromage.
       Maître Renard, par l'odeur alléché,
           Lui tint à peu près ce langage :
       Et bonjour, Monsieur du Corbeau,
    Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
           Sans mentir, si votre ramage
           Se rapporte à votre plumage,
     Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie,
           Et pour montrer sa belle voix,
   Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
   Le Renard s'en saisit, et dit : Mon bon Monsieur,
              Apprenez que tout flatteur
     Vit aux dépens de celui qui l'écoute.
   Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.
           Le Corbeau honteux et confus
   Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.


 En ce sens, il critique la vanité des hauts personnages de l’entourage royal qui cherchent à se faire valoir par la flatterie mais dont le roi profite sans user de la violence pour les manipuler à sa guise.

-Nicolas Fouquet-


Au XVII° siècle un poète ne peut vivre sans un protecteur car les droits d'auteur n'existaient pas. 

Nicolas Fouquet éprouve de l'admiration et de l'amitié pour Jean de la Fontaine. Mais le Contrôleur Général des Finances, profite de sa position et mal lui en prend quand il veut éblouir Louis XIV par une somptueuse fête en son superbe château de Vaux. 

Le roi, furieux et jaloux, l'accuse de détournement de fonds publics et le fait mettre en prison à perpétuité. 

Jean de la Fontaine se compromet en prenant publiquement sa défense. 

Colbert et Louis XIV  ne lui pardonnèrent jamais sa fidélité à son ancien mécène.

-Colbet et Louis XIV-


La force de l'écriture est redoutablement efficace avec l’éloquence de la parole qui emporte tout sur son passage par une ironie mordante que Louis XIV redoute car il ne peut l'empêcher. 

Le fabuliste en relation avec Chapelle, Molière, Boileau, Racine et Fénelon est donc dangereux et Louis XIV veut limiter son influence. 

Pourtant les fables sont considérées comme un art mineur mais le conteur libertin triomphe toujours de la règle car par une brève histoire suivie d'une courte moralité, la Fontaine s'adresse à un public adulte qu'il sait captiver en se servant d'animaux pour glisser des clins d'œil aux allusions sociales, politiques ou philosophiques.

Il déclare : "J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique, la ville et la campagne, enfin tout, il n'est rien qui ne me soit souverain bien, jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique" et il s'amuse a créer son épitaphe désabusée :

"Jean s'en allé comme il est venu,

Mangea le fonds avec le revenu,

Tout les trésors chose peu nécessaire,

Quand à son temps, bien le sut dispenser

Deux paris de fit, dont il soulait passer

L'une à dormir et l'autre à ne rien faire".



L’émission télévisée «Secrets d’Histoire » présentée par « Stéphane Bern » sur Jean de la Fontaine fut passionnante et met en lumière les salons littéraires animés par des femmes de la haute société qui réunissaient chez elles ceux qui s’intéressaient à l’art. 

Ainsi tombe un préjugé attisé par "Les précieuse ridicules" : des femmes au XVII° siècle étaient loin d'être des sottes superficielles comme les décrit Molières. Elles étaient très cultivées et souvent des mécène éclairées qui protégeaient, soutenaient financièrement et logeaient des artistes.



 C’est d'ailleurs ainsi que les contes et les fables connurent un succès phénoménal dans ces salons littéraires où on aimait se moquer, en les tournant à la dérision, de tous ceux qui avaient parties liées avec le pouvoir politique, ecclésiastique, juridique. 

N'oublions pas non plus la montée en puissance des loges maçonniques, sociétés secrètes, déistes ou incroyantes, anticléricales à l'image de Voltaire, qui favorisèrent les idées révolutionnaires de 1789.

En trois mots, Jean de la Fontaine mettait en scène des animaux symbolisant les traits de caractère des courtisans et du roi avec leurs défauts. Il créait une musique oratoire suggestive à la sonorité rythmée très expressive que sait admirablement interpréter Fabrice Lucini.



Très précis dans le choix de son vocabulaire, la Fontaine avait l’art d’aller à l’essentiel dans ses véritables petits chefs d’œuvre de l’esprit caustique et ironique.

Ses auditeurs reconnaissant sans peine les hommes et femmes qui se cachaient derrière les animaux. 

Jean de la Fontaine connut ainsi la censure et la pression du pouvoir absolu de Louis XIV et dut fuir Paris pour se réfugier à Château-Thierry à plusieurs reprises pour échapper à la prison.

"En toute chose, il faut considérer la fin" 

(Le renard et le bouc)

Le poète ne croyait pas si bien dire mais il ne sut pas pour lui-même trouver la prospérité matérielle et le sureté intellectuelle car "On hasarde de perdre en voulant trop gagner" dit-il dans la fable du Héron.



Mari infidèle, père indifférent à son fils, mauvais administrateur, joueur criblé de dettes, Jean de la Fontaine dilapida sa fortune et celle de son épouse dont il se sépara sans état d'âme. 

Il mourut pauvre et solitaire chez des amis qui l’avaient recueilli. 

Le poète ne se prend pas pour un génie. Il se décrit comme un courtisan ordinaire cherchant par obligation un mécène. Il ne fait pas de la morale, il se contente de décrire la société de son temps. Cette normalité le rend génial car c'est la réalité qui s'impose et qui l'inspire.

Gustave Doré est connu comme le graveur qui illustra la Bible mais aussi les fables de Jean de la Fontaine. En tant que peintre j'ai envie de me lancer en dessinant et peignant à l'acrylique ce qui me touche chez ce fabuliste.

-Fabrice LUCINI-

L'acteur Fabrice Lucini fait vivre les fables de la Fontaine sur Internet, sur son compte Instagram,  d'un façon très originale et c'est un régal très émouvant que de l'écouter. 

Enfin comme lui, je pense qu'il faudrait éviter d'enseigner les fables de la Fontaine à des enfants. L'auteur n'écrit pas pour eux ; il s'adresse à des adultes fréquentant les salons littéraires qui possédaient donc les clefs culturelles pour comprendre le symbolisme. 

Pendant les années 1990, j'ai conçu une troupe de marionnettes à fils pour animer un atelier avec de grandes adolescentes présentant des troubles du comportement et j'ai mis en scène plusieurs fables. Ce spectacle gratuit connut un certain succès dans des maisons de retraite, des centres culturels ou de loisirs, car les marionnettes renvoient à l'imaginaire et les fables à la vision poétique de la société. 

Chez mes élèves , elles étaient le vecteur  de moyens psychopédagogiques car une marionnette à fils est un petit personnage indépendant mais aussi le prolongement corporel de sa manipulatrice  qui s'exprime dans l'univers émotionnel et symbolique devant un public généralement réceptif. Certaines scénettes de Jean de la Fontaine se prêtaient à ce jeu.

Personnellement je n'ai savouré les fables que vers l'âge de 20 ans. Mais le fait d'être obligé au collège et au lycée de les apprendre par cœur me ferma l'esprit à ce genre littéraire car je n'en comprenais pas l'intérêt. Aujourd'hui une porte s'est ouverte sur le symbolisme et je l'apprécie. 



La poésie est faite pour être entendue et comprise comme de la musique. J'aime donc mieux l'entendre que la lire. C'est pourquoi Fabrice Lucini me comble.

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UNE EXPOSITION PRES DE ROUEN 

à 23,5 km de Rouen sur la N 31 direction "Compiègne"


Au château de Vascœuil des artistes présenteront leurs compositions sur le thème des Fables de La Fontaine jusqu'au 24 octobre 2021.










lundi 17 mai 2021

UNE SUBLIME LECON DE PIANO

 


LA LECON DE FIANO : Film dramatique de Jame Campion (1993)

C'est la troisième fois que je regarde ce film magnifique sans me lasser car véritable chef d'œuvre du cinéma, il renvoie poétiquement aux affres de la passion romanesque et sensuelle de la relation amoureuse sur un fond d'une aventure exotique en Nouvelle Zélande au XIX° siècle. 

Par la musique et la langue des signes, l'héroïne, Ada qui est muette, sublime la symbiose avec son piano. Elle bouleverse le colon Gorge, analphabète mais hyper sensible sous sa carapace quelque peu frusque de mâle. 



C'est la confrontation de la sensibilité culturelle et complexe du mystère féminin avec la virilité subtile et intelligente de la masculinité dans le processus de la séduction. 



Avec sa sonorité et son piano, Ada exprime merveilleusement la gammes des émotions, son intelligence, sa finesse, sa résistance, sa volonté, son désir, son besoin d'expression et ses sentiments. 



Holly Hunter et Harvey Keifer interprètent magistralement ces personnages  aux antipodes culturelles mais le dieu des corps les unit dans cette soif de l'autre qu'on appelle "Amour".

 L'héroïne est une mère et une amante jolie et mystérieuse.

Dans cette appréciation je ne parle pas du rôle du mari (Samuel Neill) éconduit et de la jalousie espiègle de la fillette (Anna Paquin), ni des figurants de la tribu des Maoris... Ils contribuent tous au triomphe de ce chef d'œuvre.

La palme d'or du Festival de Cannes n'est que justice. Ce film est à voir et revoir...

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Pour être franc, je n'ai pas une culture cinématique très pointue cependant une vingtaine de films m'ont accompagné dans l'imaginaire et des genres différents allant du western à la science fiction, du policier à l'introspection, de l'épopée à l'amour, la sensualité à l'action, du fantastique  à l'érotisme.

 J'aime certains chefs d'œuvres qui ont révolutionné le septième art en leur temps et qui sont devenus des classiques.

La mort aux trousses, Sueurs froides d'Alfred Hitchcock, Le Septième Sceau d'Ingman Bergman, Shoah de Claude Lanzman, La Grande illusion de Jean Renoir, La Parole de Carl Theodor Dreyer, Le Sept Samouraï d'Akira Karosawa, L'Aurence d'Arabie de David Lean, Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone, le Cinquième élément de Luc Besson, L'Empire des sens de Nagisa Oshima, sont des films parmi d'autres que je revois toujours avec un immense plaisir ou des frissons. 

Rien de plus classique dans ces choix.