samedi 3 février 2018

Comment regarder une oeuvre d'art ?

Collage : Philibert-Charrin  (collection particulière)


Une oeuvre d'art exposée se soumet à notre regard et nous sommes confrontés à ce qu'elle nous offre en laissant libre cours à nos émotions.


Faut-il apprendre à lire un tableau ou simplement le ressentir ?



Nous sommes dans notre civilisation audio-visuelle envahis par une multitude d'images. Elles risquent de nous rendre inaptes à la critique, à l'auto-évaluation et donc peut-être incapables de regarder et de ressentir car trop d'informations tuent l'information.

Par exemple, dans notre salon, plusieurs tableaux d'autres peintres que nous aimons beaucoup sont accrochés et ce qui nous frappe avec Annick, mon épouse, c'est que très peux de nos amis y jettent un coup d'oeil. Ils paraissent totalement indifférents à notre intérieur et pourtant la plupart savent que je dessine. Peut-être ne veulent-ils pas paraître indiscrets ? Mais je crois plutôt qu'ils sont victimes du syndrome du trop plein d'images et qu'ils ne savent plus tout simplement regarder et ressentir. 
Je crois donc qu'il faut retrouver les moyens de sélectionner les images intéressantes pour comprendre, apprécier, critiquer et aimer ou pas une oeuvre visuelle ?

COMPRENDRE L'ART DIT ABSTRAIT ?

La naissance de l'art dit abstrait est une aventure du XX° siècle avec ses précurseurs comme Vassily Kandinsky, Kasimir Malevich, Piet Mondrian... Avec les nouveaux moyens de communication, les artistes furent en contact les uns avec les autres et recherchèrent à développer un art visuel essentiellement conceptuel et émotif. 
Mais là encore, il serait présomptueux de ma part de vouloir définir ce courent car pour Malevich l'idée qui sous-tend son tableau compte d'avantage que l'oeuvre elle-même telle que ce "Ramassage du Seigle" (1912). Avant de se lancer dans une austère abstraction du rapport entre la forme et l'espace avec son fameux "Carré Noir sur Fond Blanc" (1925),  Malevich témoigne, sous une apparente naïveté, de sa profonde connaissance de la nature en stylisant les paysans dans des formes cylindriques : c'est un avant goût de l'abstraction vers laquelle il tend...





Kandinsky défendit, par exemple, une conception de la peinture non figurative pour s'attacher à une dimension spirituelle dans le symbolisme des formes et des couleurs en rejetant toute référence au réel. Dans son tableau, "Saint Georges I" n'ont pas disparu certains symboles figuratifs comme la grande lance s'enfonçant dans le dragon, ainsi que la silhouette du cheval et du saint. Néanmoins, les formes, les couleurs et leur opposition seulement donnent un sens et un rythme au tableau.





Quant-à Mondrian, issu d'une famille calviniste, il refusa d'introduire dans sa peinture toute oblique qu'il considérait comme une manifestation personnelle contraire à la profondeur spirituelle qu'il recherchait telle dans cette célèbre composition de 1929 :





J'en conclus que cette intellectualisation de l'art et son expression rejoignent une mise à distance par l'homme du XX° siècle de sa perception religieuse conventionnelle pour en retrouver l'essence spirituelle. 

Sans trop vouloir prétendre imposer mon point de vue, j'ai éprouvé vers l'âge de 30 ans le besoin d'acquérir une solide culture biblique, théologique, coranique et philosophique pour comprendre mon existence et lui donner un sens. Auparavant, ma formation de psychagénésiste (rééducateur d'enfant atteints d'arrêts du développement psycho-moteur) m'avait familiarisé avec les notions psychiatriques et psychologiques. C'est ainsi que j'ai trouvé un équilibre éthique et culturel.  Je suis donc très sensible à cette recherche de spiritualité chez certains artistes contemporains. Entendons-nous bien : il ne faut pas confondre la spiritualité avec la foi, comme il faut distinguer la laïcité du laïcisme.


En matière d'art donc, quelque soit notre niveau culturel, il y a toujours des découvertes, des coups de coeur et il faut sans doute apprendre à faire confiance à notre oeil et laisser vivre "l'oeuvre d'art" dans notre ressenti. Mais nous devons aussi savoir comment nous lisons spontanément une image pour en améliorer la perception.


Si j'ai choisi ce collage de Philibert-Charrin, c'est tout simplement pour qu'il donne l'occasion aux lecteurs de ce blog d'éprouver ce que je viens de dire.

Ce beau collage, bien structuré et donc bien pensé avec sa diagonale et son point doré, me renvoie au mystère de l'expression d'une sensibilité artistique. A première vue le tableau semble complètement abstrait et pourtant notre oeil va droit à l'oiseau blanc-beige au centre droit de la composition. Il faut donc lire ce tableau pour le comprendre.



J'avoue que j'aimerais bien acquérir une oeuvre de cette qualité, mais c'est un projet sans doute inaccessible financièrement ?
Ce collage est dans le salon d'une de mes proches, je suis donc allé au-devant de ce tableau que je voyais pour la première fois comme si j'allais au-devant d'un premier contact avec une personne inconnue avec laquelle je devais discuter : il y a l'instant de la surprise et le temps de l'observation qui suscitent l'intérêt avant d'ouvrir le dialogue qui construit la connaissance. Oui, je rencontre une oeuvre d'art comme je vais au-devant d'une personne. Ensuite vient l'approfondissement de la connaissance, de la recherche du sens, de la découverte de l'artiste et de l'appropriation culturelle.
Je renvoie donc mes lecteurs à la rubrique "CULTURE" dans laquelle Philibert-Charrin est présenté.

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Le point doré ou la façon dont notre oeil décode une image :





     
Ces schémas montrent comment notre oeil lit naturellement une image avec son point doré (nombre d'or). C'est, pour faire simple, une méthode mathématique qu'utilise les artistes, les publicistes et les architectes pour définir des proportions harmonieuses qui vont être "lues" par notre oeil spontanément en suivant le tracé rouge. Léonard de Vinci utilisait cette mise en page. 

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Mère et enfant camerounais

C'est ce qui s'est passé avec une grande aquarelle de mon maître André Le Noir qui m'a immédiatement séduit et dont je rêvais.
Mon épouse et mes enfants me l'ont offerte pour mon soixante-quinzième anniversaire, il y a un an. C'est le plus beau cadeau qu'ils pouvaient me faire !
Tous les jours je contemple donc avec jubilation cette oeuvre figurative, expressionniste et réaliste et j'en découvre encore avec émotion et lucidité la profondeur artistique. Les couleurs et la trame des tissus, la bourse de la femme cachée sous l'avant bras, etc...
C'est un privilège inestimable de communiquer avec ce chef-d'oeuvre, de dialoguer avec l'artiste chaque semaine dans son atelier que j'ai l'honneur de fréquenter. 
Peu à peu, discrètement, je soulève le voile et perçoit un peu le mystère de sa personnalité, de sa passion pour l'aquarelle et l'intérêt qu'il éprouve pour les personnes qu'il a rencontrées lors de ses voyages sur les cinq continents et dont il témoigne en réalisant les portraits.



Notre regard perçoit immédiatement le contexte global du tableau avant de se fixer sur l'enfant qui regarde dans la même direction que sa mère et en se penchant pour écouter ce qui se dit. Il y a ce contact charnel et sensuel entre cette mère et le fruit de ses entrailles qu'elle porte sur son dos comme le font les femmes africaines. Puis nous percevons avec le sourire de la maman qu'elle bavarde avec plaisir en portant sur sa tête son panier avec une toile roulée.
André Le Noir, habilement, nous met dans un bain anthropologique : cette femme se rend au marché de son village vendre quelques légumes ; elle aime visiblement les contacts humains. Les tissus colorés de son fichu et de sa robe montrent qu'elle a choisi de se mettre en valeur.

Sur le plan technique, la mise en page avec la diagonale partant du haut gauche jusqu'au bas droit et le point doré est la tête de l'enfant, sur lequel notre regard se fixe en premier, nous indique qu'André Le Noir ne s'est pas contenté de copier une de ses photographies mais qu'il a méthodiquement recomposé et charpenté harmonieusement son dessin.
Avec la beauté lumineuse et colorée de son aquarelle, l'artiste nous rend donc compte, de retour dans son atelier, de son voyage au Cameroun, en témoignant de la joie de vivre des africains, de leur mode de vie, de leur sens esthétique malgré leur pauvreté et de leur sensualité (au bon sens de ce terme).

Ce tableau nous parle enfin du peintre car on sent immédiatement qu'il aime voyager, rencontrer des hommes et des femmes de contrées éloignées. 




André Le Noir, avant tout, respecte les sujets qu'il peint. Il a besoin du réel pour en percer le sens. Cela implique de sa part une rigueur absolue dans le dessin et sa mise en couleur. Il n'y a pas place pour l'imagination mais, paradoxalement, il sait donner vie à un portrait en lui restituant son âme. Sa peinture devient alors un témoignage d'une rencontre qu'il fit en Chine, en Afrique ou au Moyen-Orient ou sur de lointaines îles qu'il visita en naviguant à la voile. 
Cet homme secret n'est pas un "diseur", il se cache pudiquement derrière son art qui lui sait "causer" !
Ses personnages nous parlent en effet de ses lointains voyages avec le langage universel de la communication visuelle. 
L'artiste est un architecte de métier donc ses compositions picturales sont construites solidement avec un réalisme méticuleux et leurs couleurs translucides viennent naturellement, avec leurs contrastes, donner la vie à la lumière.  
André Le Noir aime découvrir le réel, le concret avec curiosité et respect. Son amour des voyages s'inscrit dans cette soif de comprendre les hommes et les femmes vivant sous d'autres cieux avec leur coutumes locales...


UNE SUGGESTION : Vous pouvez consulter son blog ou son site et entrer en contact avec lui car des aquarelles de grande qualité sont disponibles et encadrées ... Une belle aquarelle est une superbe idée de cadeau à offrir à une personne que vous aimez... 
Je le dis simplement puisque j'en ai reçue une...  







le.noir.andre@orange.fr

06 86 44 79 63


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COMPRENDRE & VOIR

Mettre en ligne dans cet article deux oeuvres aussi différentes, aussi éloignées l'une de l'autre, que sont le "Collage à l'oiseau"  de Philibert-Charrin et la "Mère et l'enfant camerounais" d'André Le Noir, est un acte volontaire de ma part car elles me parlent sur des registres différents mais aussi profonds. Et peut-être, aideront-elles  mes lecteurs à mieux comprendre leur confrontation personnelle avec l'art ?


MIROIR

Une petite information pratique pour finir : 
A l'école des Beaux Arts de Rouen, le professeur de dessin nous conseillait de toujours regarder notre dessin et son modèle dans un miroir de poche. 
L'oeil, en percevant l'image inversée, en voyait immédiatement l'équilibre et la justesse des traits, le respect des perspectives et n'en pardonnait pas les défauts.
Notre enseignant nous apprenait ainsi à éduquer notre regard. 
Quand je dessine, j'emploie donc toujours un petit miroir pour m'auto-évaluer et me corriger. 
Mais je regarde aussi très souvent les tableaux des autres avec mon miroir avant d'avoir envie de les acheter. Il est impitoyable et a ainsi sélectionné les oeuvres d'art que nous avons acquises... 
L'important, c'est de garder les yeux ouvert sur le monde et "l'art, c'est le relief du Beau au dessus du genre humain." (Victor Hugo : Faits et croyances)

Essayez et vous m'en direz des nouvelles...