BOULEVERSÉ, SIDÉRÉ
Dans la cathédrale de Rouen, je me sens chez moi.
Elle est émouvante car liée à l'histoire et au caractère de la cité. Édifiée au cours de siècles, elle est son âme et témoigne, en dehors de toutes considérations religieuses, de ce qui fait la force de la culture Normande.
Lieux de rencontres spirituelles, artistiques, historiques, intellectuelles, sociales, les rouennais, quelques soient leurs convictions, se reconnaissent unis dans leur attachement à leur cathédrale, point de convergence de leurs regard émerveillés. Cela dépasse la dimension du patrimoine car c'est l'identité rouennaise et normande qui se magnifie chaque fois que l'on contemple ce joyau.
Au moment où j'écris ces lignes Notre-Dame de Paris est en feu, sa flèche vient de s'écrouler à l'instant et on ne sait pas si l'édifice résistera à ce dramatique incendie.
Je suis bouleversé, car c'est le cœur même de notre civilisation qui est atteint. Ces images télévisuelles magnifiques mais terribles sont sidérantes, insupportables, fascinantes et je ressens ce besoin de m'isoler et d'écrire quand l'émotion est à son comble.
Notre-Dame de Paris n'est pas seulement catholique, elle est le nœud central de toutes les forces nationales, elle est le kilomètre zéro de la France, elle est au cœur de l'art, de la littérature, du cinéma, de la culture populaire, de l'Histoire, de l'architecture. C'est notre point de convergence.
Curieusement mais d'une façon incontestable, la Révolution, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, n'ont pas fait changer le sentiment profond que Notre-Dame de Paris est l'âme de la France et donc de l'Etat.
C'est paradoxale dans notre société, qui se désacralise, qu'une telle épreuve, vienne nous ramener aux racines de notre nation et à notre identité nationale. Par ces temps difficiles d'une crise identitaire, cet incendie dramatique nous rappelle nos ruptures, nos tensions, nos échecs et nos gloires autour desquelles s'est construite toute notre histoire.
Oui, c'est l'esprit de Paris, de la France et sans doute de l'Europe qui souffre et nous tous avec. Nous sommes désemparés qu'en une heure à peine soit détruit à jamais un pan fondamental qu'on avait réussi à sauvegarder pendant des siècles malgré toutes les épreuves que Paris a traversé !
Alors, je ne me lasse pas de peindre le monument que j'aime, chez moi, à Rouen. C'est jubilatoire de peiner pour exprimer l'amour que l'on ressent.
Sans emphase mal placée, j'ai peint dessiné au moins quinze fois la cathédrale de Rouen depuis cinquante ans.
Je peux dire qu'elle est la cheville ouvrière de mon expression artistique, qu'elle est le témoin de mes progrès picturaux mais aussi de mes manques, de mes limites et donc de ce besoin de toujours se dépasser et de continuer inlassablement de chercher et de recommencer.
Je viens donc d'achever cette aquarelle destinée à des amis rouennais.
Le dessin est fait à main levée au brun de noix.
Ses dimensions hors passe partout et cadre : 62 X 38 cm.
C'est donc une de mes plus grandes réalisations à l'aquarelle (détrempe).
Mais, c'est toujours avec la plus grande humilité que je prends la mesure de la difficulté à respecter ce joyau de notre patrimoine normand.
Mes tableaux représentant la cathédrale ont migré en Allemagne (Haiger), au Chesnay, à la Houssaye-Béranger, Mont-Saint-Aignan, Rouen, souvent chez des proches ou des amis. J'en ai gardé deux chez moi. J'ai toujours dans la tête une nouvelle composition en élaboration. C'est un chantier sans fin.