lundi 12 août 2019

UN PHOTOGRAPHE DU RÉEL

Après avoir parlé de Dave SELLENS, voici, tout à fait dans un autre style, une esquisse d'un photographe moins "académique" :
- Sa mère utilise quelle marque de lessive ? -
Gi-Heff est le pseudonyme d'un photographe professionnel reconnu,
souvent tenu de composer avec les souhaits d'un client pour faire passer un message.
Par contre 
sur son blog "Espace-Normandie" il se libère de toute les contraintes du "sur commande" et ne filme ou bien ne prend en photo que les sujets qui lui plaisent.

Il dit :
"Pour le blog, je prends une photo quand un sujet ou bien un point de vue me plaît. 
Je n'ai pas de ressenti, pas d'émotion ni de curiosité; donc... je n'ai rien à dire sur mes photos. 
Elles existent. Un point c'est tout !"

Pas bavard. 
En interview, ce n'est pas un cas facile !

La liberté de ton de l'individu ne laisse pas indifférent mais, le photographe respecte scrupuleusement les sujets qu'il traite. 
En conséquence de ce qui est dit ci-dessus, on ne saura pas ce qu'il pense car il ne commente jamais ses photos;
Simplement il les met merveilleusement en scène, en se servant d'une technique très bien maîtrisée.

C'est un pragmatique. Il ne voit pas en quoi appuyer sur le bouton de son appareil ferait de lui un artiste. 
Quelque part, il a certainement raison puisqu'il communique très bien avec ses images.

Il se réclame d'une culture populaire qu'il aime et dont il photographie ou filme de multiples expressions. 
Il n'aime pas les photographes "snobs" ou "bobos" qui s'imaginent faire une œuvre d'art en photographiant une poubelle (par exemple), et qui se masturbent (les méninges) pour la sublimer avec de douteuses élucubrations. 
"Ils se foutent du monde!" dit-il avec une implacable ironie.

Pour ce bref panorama, Gi-Heff a choisi quelques clichés qu'il aime. 
Personnellement, j'en aime aussi beaucoup d'autres mais je respecte toujours les choix de mes interlocuteurs quand je fais un reportage.
Naturellement, il ne les a pas commentés, ni expliqués;
En gros, il me les a donnés et à moi de me "demm....";

Donc, les voici, légendés à ma sauce :


- Portrait -

1- Rien n'est spontané dans ce portrait en noir et blanc : 
Tout est maîtrisé : la lumière, les contrastes, la profondeur de champ, le choix de l'objectif, etc... 

Tout est mis en scène dans l'attitude du modèle. 
Qu'est ce qui ressort de ce portrait ? 
La complexité d'une personnalité narcissique, faite d'ambivalences, de contradictions, de convictions, d'interrogations, d'actions, de passages à l'acte et de passions.

armada version 2019, défilé des équipages et marins.
-Pipe major écossais-
2- La photo du "pipe major", chef de la section de sonneurs de cornemuse, ou pipe band, prise sur le vif lors de l'Armada de Rouen, montre un autre volet du portrait reportage : pas de pose, c'est l’immédiat qui prime. 
Cet ensemble musical d'un voilier écossais défilait lors de la parade des équipages dans les rues de Rouen.
Dans ce portrait on sent l'autorité bienveillante du chef du pipe Band. Le plaisir qu'il éprouve est palpable dans son regard qui communique sa passion musicale, sa fierté de représenter l'équipage de son quatre mâts. 
Le proverbe "la musique adoucit les mœurs" n'est peut-être pas toujours vrai mais la musique est un art qui tisse des liens.



3- Cet homme, victime d'un malaise, certainement "shooté" par l'alcool ou la drogue, est photographié dans sa décadence sociale empreinte d'une dramatique solitude. 
La misère sous toutes ses formes quand elle est photographiée avec discrétion devient un témoignage poignant qui ne peut nous laisser indifférents. 
Cette photo agit comme un marqueur anthropologique sur les décalages dans notre société qui se veut une des plus avancées de la planète. 
Elle nous ramène à l'humaine condition car il n'y a que du réel dans cette déchéance. 
Aucune sublimation n'est possible et pourtant la photo en elle même est d'une troublante esthétique.



4- Ce couple de "punks" longeant les berges de la Seine lors de l'épreuve sportives des 24 heures motonautiques de Rouen est intéressant. Le blouson avec ses graffitis, les fleurs cueillies sur les plates bandes de la ville situent la sociabilité du couple.
Cependant, dans le vacarme assourdissant des moteurs hors bords, il demeure un appel au calme, à la poésie de la nature, à l'harmonie au sein d'un couple même marginal comme celui-ci. 
Si on ignore le contexte de la prise de vue, il n'en demeure pas moins cette marche vers un futur qui s'accomplit dans le vis-à-vis d'un homme et d'une femme. 
La vie en couple est une aventure et cette photographie devient ainsi une fenêtre sur l'évasion.

- Une SDF endormie -
6- Cette femme dormant près de son vélo est-elle une SDF ?
Le vélo chargé de deux grands sacs ne laisse pas beaucoup de place au doute. 
C'est encore le drame d'un échec personnel, peut-être d'une rupture conjugale accompagnée du chômage que symbolise cette superbe photo bien construite ?
Comment être insensible à ces drames de la solitude, de l'errance. 

Pourtant cette femme est propre et correctement vêtue, elle doit certainement faire des efforts considérables pour garder sa dignité. 
Cette photo de type social livre un témoignage objectif, sans commentaire et sans état d'âme.


-Le site de Tricastin-
7- Paradoxe du Tricastin : 
Il faut être un photographe accompli pour donner du sens à un tel cliché : l'énergie nucléaire est-elle opposée à l'énergie fournie par le vent? 
Le débat écologique est signifié clairement dans cette photo qu'il fallait oser faire sur le plan esthétique. 
L'éolienne est-elle plus respectueuse de l'environnement que la centrale nucléaire?  

C'est exactement le même dilemme avec la voiture électrique qui en réalité ne l'est pas avec ses accumulateurs très polluants pratiquement indestructibles et non-recyclables. 

A partir d'une simple photo, mille questions se posent donc : c'est la fonction de la photo-reportage.

- Le site de Petroplus -

-La raffinerie pétrolière fut une des clefs de l'essor industriel de la vallée de la Seine-


7- Les 2 photos du site "Petroplus", désespérément vide de toute présence, actuellement en cours de démantèlement, témoignent de l'essor industriel de la zone portuaire de Rouen après 1945. 
Mais c'est une page de l'histoire qui se tourne sur fond de crise sociale. 
La France, en abandonnant des pans entiers de son activité économique, sombre dans un déclin lourd de conséquences. 

Ces photos ne sont donc pas seulement esthétiques, elles révèlent l'anéantissement et une dramatique et profonde crise de notre société.

                                                                          

8- Cet ouvrier travaillant sur une toiture à Lyon est lui aussi un témoin du temps présent et de son dynamisme. 
Les photos de Gi-Heff nous plongent donc dans des tensions, des contradictions de notre société au temps présent. 
Le photographe ne se préoccupe absolument pas de ce qu'il restera de ses clichés dans 50 ans. "Je fais ma soupe pour aujourd'hui" dit-il ne se déparant  pas de son réalisme.


-Skateboard-
9- Enfin ce jeune pratiquant le "Skateboard" dans le milieu urbain est saisissant de vérité. Tout est dit dans un tel cliché. Le jeune s'accomplit dans l'action pour elle-même. 
Il ne se préoccupe pas des dégâts sur le mobilier urbain qu'implique son sport dont l'esprit est toujours d'aller plus loin dans la réussite d’acrobaties très techniques.

Si je dois faire un résumé, je dirais que le fil conducteur de Gi-Heff est :
"pas de blablabla, juste des photos efficaces".

Je vous renvoie à son blog qu'il faut absolument visiter :
https://espace-normandie.blogspot.com/