CULTURE

UN DRAME POUR UNE MAMAN DOGON AU MALI 


Aucun peuple d'Afrique n'a inspiré plus André Le Noir que les « Dogons » du Mali au pied des majestueuses falaises de Bandiagara.
Leur culture est en effet fascinante et il en a ramené des croquis pris sur le vif et des photographies qui luit permettent de travailler dans son atelier sur plusieurs portraits que je connais bien et que j'admire.  J'en présente quelques uns.


Dans le village de Hambori il fut interpellé par cette jeune femme qui se lamentait, car elle n’avait plus de lait pour nourrir sa fille. "En Afrique c'est un drame intime car mère et enfant vivent longtemps en symbiose et cette situation anecdotique devint donc pour moi un des sujets intéressants à traiter qui me touchent lors de mes voyages.

J'ai donc guidé le regard du public vers le centre d'intérêt :  l’enfant qui pourtant ne livre aucun message sauf celui de la faim puisqu'elle suce une tétine. Le regard remonte ensuite vers le visage grave de la maman."
Cette gravité est mise en scène par l'artiste dans le contexte anthropologique du village puisque sur la case à droite les motifs rupestres et rituels représentent des animaux, des esprits et des diables de la cosmogonie dogon et sur la gauche est représenté une table de divination qui évoque le renard pâle.

"Ma composition picturale  témoigne de ce qui se vit dans le village pour rester authentique. Cette jeune femme anxieuse de ne plus pouvoir nourrir au sein sa fille nous livre une clef pour comprendre mon tableau et le remettre dans son contexte. J'ai ainsi découvert les coutumes ancestrales  mêlées aux croyances qui demeurent malgré la christianisation et islamisation qui gagnent du terrain."

LES PORTRAITS DOGONS 

RÉALISÉS PAR ANDRÉ LE NOIR


Ma curiosité aiguisée, André Le Noir me prêta un gros volume anthropologique dont je livre une petite synthèse.

Chef Dogon

Un jeune homme construit sa maison dans la partie basse du village au milieu de ses égaux, puis au fur et à mesure qu'il prend de l'âge, s'installe dans les maisons de ses ancêtres : celle du père d'abord, de son grand-père ensuite pour arriver à son âge mûr à la partie haute du village où vécurent ses ancêtres. Les vieux cultivent les champs les plus proches et les plus fertiles. La famille est donc au cœur de cette sociologie.
Au pays des Dogons les femmes jouent un rôle majeur.

La bière de mil sert à alimenter les conversations, les chants, les flirts, les festivités et les échanges. Il existe en effet une forte connexion entre boire et parler ensemble. Entre les buveurs de bière les échanges verbaux sont un espace de liberté, de vantardise, de mensonge, de moqueries car ils font partie du jeu festif. Pour les femmes, la bière sucrée est une friandise à boire en privé ou collectivement lors des fêtes. Quand une jeune fille propose une calebasse de bière à un garçon, elle l'invite à se lier plus intimement. L'accepter est un signe d'encouragement et d'approbation.

L'identité Dogon se réclame d'une relation triangulaire avec les génies et les ancêtres. Comme partout en Afrique, les palabres réunissent les hommes au cœur du village. En tant qu'ivrognes agités, les génies sont le miroir de ce que les hommes ont été à l'origine et de l'image de ce qu'ils peuvent devenir en cas d’enivrement excessif. En revanche les ancêtres sont de paisibles buveurs de bière non fermentée et forment avec les vivants une chaîne généalogique continue. Par opposition à l'ivrogne, le modèle idéal du buveur Dogon est un homme qui sait parler, chanter ou se taire en maîtrisant tout ce qui sort de sa bouche.
Chasseur Dogon

Malgré l’islamisation et la christianisation, la vie quotidienne est ponctuée par un système compliqué de rites dont le sommet est une fête annuelle pour accueillir la pluie fin mai.
Le monde surnaturel est complexe avec les esprits variés, le dieu suprême, Ama, et son adversaire, Léwé, qui symbolisent les rapports tendus entre le ciel et la terre et plus précisément entre la saison humide et fertile et le temps sec. La pluie, instrument divin, assure une année heureuse.

C'est donc le présent qui compte sous le règne d'Ama. Personne n'est capable de parler, de penser et d'agir sans lui. Mais c'est un dieu capricieux, imprévisible, aussi ambivalent que les hommes. Et seul le renard pâle, le plus malin des animaux, connaît l'avenir venant d'Ama. Mais le renard est assez futé pour ne pas tout raconter. D'où l'art de la divination qui est en premier lieu un système de connaissances et de relations de confiance entre le divinateur et son client qu'il aide : “Quel champ dois-je choisir pour planter mes oignons à la nouvelle saison ? Ma femme sera-t-elle enceinte ? Comment va mon fils parti travailler dans la grande ville ? J'ai mal au dos, sur quel autel dois-je offrir un sacrifice ? Ma mère est-elle bien dans sa tombe ?”.
Le divinateur est aussi celui qui prépare sur un terrain de sable trois tables de divination, où le renard pâle a l'habitude de passer et en priant les dieux Léwé et Ama, interprète toujours positivement les empreintes de ses pas sur le sol.

La terre n'est pas fertile par nature, elle a besoin d'être fertilisée par les déchets organiques et les excréments d'animaux sont ainsi très précieux et leur vol est un forfait scandaleux sévèrement puni. Les greniers sont donc des cases dont la porte est fermée par une des fameuses serrures fabriquées par d'habiles forgerons qui possèdent aussi des pouvoirs occultes car ils participent à l’ensevelissent les défunts, règlent les conflits et sont donc craints et respectés.

Les rituels funéraires sont aussi très symboliques. Le corps est enveloppé dans la couverture des morts, il est rapidement  monté sur la falaise pour y être déposé dans une grotte. Le brancard qui a servi à le transporter est jeté au bas de la falaise, ainsi que les poteries lui ayant appartenues s'il s'agit d'une femme. Ensuite le proches ramenant la couverture des morts, tous les rituels se feront autour d'elle : On danse, on chante et les hommes tirent des coups de fusil et parfois se déguisent en femmes avec les masques pour dire adieu au décédé.

La fameuse grande fête des masques est très symbolique car ils représentent des animaux sauvages venus de la brousse apportant connaissance, force, fertilité, sagesse car ils sont au courant du futur et connaissent les hommes. La danse des masques concerne donc tout le village car on dit adieu aux défunts qui par ce rituel deviennent des ancêtres à célébrer.

Au pays Dogon, tous les trois ans, le rite de la circoncision marque la transformation d'un garçon en un jeune adulte. Et les fameuses peintures rupestres polychromes sur les falaises représentant des sacs de cavaliers, des animaux, des êtres humains, des diables, des esprits, des outils, des symboles totémiques, des falaises de Bandiagara sont les symboles servant à initier les jeunes circoncis à une vie nouvelle faite d'expériences personnelles et collectives.

"Je garde de mon voyage au Mali, un sens profond de la culture Dogon qui fut passionnante de ressentir mais dont je témoigne avec humilité en n'ayant pu que l'esquisser. C'est cependant avec plaisir que je rends compte de certains de ses aspects à travers de ma peinture." conclut André Le Noir.

Mais ce n'est pas tout ! Une voyageuse connaissant le pays Dogon jugea cet article très prétentieux car ignorant une réalité sombre : elle ne supporta pas l'agressivité des jeunes-filles enivrées lors d'une fête des masques qui voulurent lui arracher son sac et son porte-monnaie. Les nombreux touristes occidentaux accélèrent en effet la décadence de ce peuple.

 Depuis cette petite approche culturelle je regardes les portraits africains réalisés par André Le Noir d'une toute autre façon. 

Chaque matin quand je descends dans mon salon je contemple un chef d'oeuvre de mon maître aquarelliste et j'en ressens chaque jour de nouvelles émotions, de nouvelles secondes d'émerveillement. Voila, c'est tout simple un bon tableau, un portrait réussit invite à un voyage intérieur. Merci André Le Noir, vos dogons sont merveilleux. 

Quand j'avais proposé cet article à l'artiste, une personne, qui avait participé à un voyage en pays Dogon, le traita de vaniteux et de prétentieux car je n'ai jamais les pieds en Afrique. Dans ce sens sa réaction peut se comprendre. Ce que j'ai cherché c'est simplement aller aux sources d'une inspiration, rien de plus ni de moins. 

Même si cela ne fait pas plaisir, c'est son droit, mais il faut savoir qu'elle a mal très supporté l'enivrement collectif de la tribu lors de la fête des masques qui avait rendu agressives certaines jeunes-filles qui voulaient lui voler à son porte-monnaie. C'est le côte sombre d'une décadence accélérée par les contacts pervers avec le monde occidental, les touristes qui cherchent d'avantage à faire de bonnes photographies que de comprendre une tradition ancestrale et qui pervertissent un équilibre fragile.

 André Le Noir respecte profondément les peuplades qu'il rencontre lors de ses voyages et il nous en restitue toute sa sensibilité dans ses tableaux. C'est ce que j'admire et aime chez lui...
Ce grand tableau est un des phares de mon salon.
Il me fut offert par mes enfants et mon épouse.

Cette maman gabonaise portant sur son dos son enfant illumine mon salon. Merci André Le Noir ! (11 décembre 2019)