ART ET BIBLE


3. Le projet

  ressenti par les Hébreux


Les cinq premiers livres de la Bible, le Pentateuque ou la Torah, sont cinq degrés de dévoilement du projet de Dieu et de sa réalisation terrestre.
Contrairement aux idées reçues, les chapitres 1, 2 et 3 du livre de la Genèse ne sont pas seulement des récits de création car l’objectif de la Bible est de dévoiler l’intention de Dieu, son projet en quelque sorte, est non pas de dire comment est apparue la vie. Il y a des spécialistes scientifiques pour rechercher cela.

Je choisis Chagall "
voyageant dans la Bible" pour illustrer ce chapitre.
Chagall, d’origine juive est né à Vitebsk en Russie  en 1887 avec une solide formation à l' Ecole des Beaux-Arts de Moscou. 
Grâce à un mécène, il migra en France où il put librement s'exprimer après un bref retour dans la Russie  bolchevique jusqu'en 1922 où il prend conscience de la barbarie totalitaire.
De retour définitivement en France, il se fixa à Vence sur la Côte d'Azur après s'être réfugié aux Etats-Unis sous l'occupation nazie.

Artistiquement, il contribua à ouvrir la voie du surréalisme avec  "sa totale explosion lyrique". 

Il illustra la Bible avec la force de "son univers intérieur" et sa profonde culture juive, sans négliger l'apport de la spiritualité chrétienne.  Voici quelques unes de ses réalisations.



Pourquoi le monde et pourquoi l’homme ?

Les exégèses juive et chrétienne sont très claires sur ce préambule : les cinq livres du Pentateuque ( la Genèse, l’Exode, le Lévitique, Les Nombres et le Deutéronome ) sont des enseignements sur la famille humaine et l’origine du mal, impliquant la chute d’Adam et Eve, et sur la manière de se relever à l’exemple de Noé qui prend un nouveau départ. Le Pentateuque nous enseigne encore sur le don de la foi, avec Abraham, le père des croyants, et enfin sur l’identité d’un peuple avec Moïse et la sortie d’Egypte.

Cinq parties distinctes qui  forment un tout pour comprendre le projet de Dieu. 


Les premières pages du livre de la Genèse parlent de la création en sept jours, de l’homme et de la femme et de l’énigme de la condition humaine avec un paradis perdu. Les auteurs de ces récits se posaient des questions fondamentales. Mais leur langage imagé nous a parfois égarés sur des interprétations contestables et confuses. 

L’objectif de cette introduction est donc de dégager quelques pistes de lecture pour aujourd’hui.

« Dans le cas du début de l’humanité, voici quel est le message de la Bible : l’homme est créature de Dieu. Ce qui relève du mode d’expression, c’est par exemple l’image de Dieu représenté comme un artiste modelant l’argile. » ( Norbert Iohfink, concile Vartican II)

 La Bible jette un regard sur ce que propose la science mais c’est à cette dernière de dire comment l’homme est apparu sur la terre.
Les Écritures nous interpellent sur le sens de l’homme. Pourquoi existe-t-il ? Pourquoi en lui cette soif de bonheur et d’amour ? Pourquoi en lui la violence et le mal ? La mort, ce scandale, est-elle son seul avenir ? 


Le livre de la Genèse propose deux récits de création qui ne disent pas la même chose.

1. L’un, chapitres 2 et 3, l’histoire d’Adam et Eve, est rédigé à l’époque heureuse des règnes de David et Salomon entre 1000 et 950 av. J.C.
La préoccupation de son auteur semble s’articuler sur le questionnement : pourquoi la souffrance, la mort, la tentation et l’infidélité au plus fort du bonheur ? Dieu modèle l’homme avec de la terre, lui insuffle la vie et le place dans un jardin en lui donnant une compagne. Dotés d’intelligence et de liberté, l’homme et la femme sont confrontés aux risques du bien et du mal : ils ont donc le choix d’être le vis-à-vis de Dieu ou de se perdre.

2. L’autre, chapitre 1, la création en sept jours, est écrit au moment dramatique de L’Exil à Babylone entre 587 et 538 av. .J.C. Enrichi par l’expérience et les épreuves malgré les fautes humaines, le deuxième auteur insiste sur la grandeur, la bonté et la beauté des initiatives de Dieu. Celui-ci crée le monde bon selon un rythme ordonné, en vainquant le chaos primitif, siège du mal. Ensuite il crée la parole, un homme à son image, donc initialement bon. Ce texte a été placé en tête de la Bible bien qu’il soit postérieur de quatre siècles. La préoccupation de l’auteur, déporté à Babylone, est articulée autour d’une question angoissante : « Dieu nous a-t-il oubliés et un retour sur notre terre est-il possible ? »

Qu’au début de la Bible, l’origine de l’homme soit décrite à deux reprises et de manières différentes, ce n’est pas précisément ce à quoi on pouvait s’attendre. Aussi, le phénomène mérite-t-il toute notre attention.


Ces traditions, fondées sur des situations historiques très contrastées, sont à l’origine de ces textes dits de création mais, on leur a fait dire ce qu’ils n’ont jamais dit, et on est passé, bien souvent, à côté de significations symboliques qui demeurent essentielles pour nous.

Un malentendu

Effectivement, jusqu’au XVIII° siècle, la Bible est la seule à faire autorité ; on lui fait spontanément confiance et elle est lue comme un reportage historique. Seul le déluge explique, par exemple, la disparition de certaines espèces animales comme les dinosaures et les mammouths. Mais à partir du XIX° siècle, les fossiles donnent naissance à la paléontologie. En découle pour les croyants un drame de conscience : faut-il choisir entre la Bible et la science ?

La sécularisation du monde occidental, entrant aussi en jeu, met les juifs et les chrétiens dans l’obligation d’acquérir une certaine intelligence de leur foi. La science, d’une part, et l’étude critique et exégétique, d’autre part, font donc considérablement progresser la connaissance et la compréhension des textes bibliques au XX° siècle.

 Ainsi certains rapprochements entre la science et la Bible sont étonnants : à titre d’exemple, Dieu, dit la Bible, crée l’homme à partir de la matière (la boue) ; cela concorde avec des découvertes scientifiques. On ne peut manquer de voir dans la Genèse, une sorte de révélation, ou, à la rigueur une intuition inspirée.

Mais en préambule, il faut reconnaître qu’une lecture naïve de ces récits peut donner l’impression d’un enseignement à prendre au pied de la lettre.

La Bible est la « Parole de Dieu », mais pas au sens d’une révélation « dictée » d’en haut. La Bible n’a pas été écrite comme le Coran, sous la dictée d’un envoyé spécial de Dieu, mais laborieusement à partir de l’expérience d’un peuple engagé dans la recherche de son Dieu. 

Celui-ci ne répond à l’homme que s’il le cherche. C’est dans ce sens qu’elle est « inspirée » et qu’elle est un enseignement. « La Genèse ne nous dit pas comment va le ciel, mais comment on y va », déclarait, avec humour un cardinal du Concile de Trente en 1542.

« Lorsque Dieu commença la création du ciel et de la terre, la terre était (Tohu et Bohu) déserte et vide (Gn 1, 1) … Telle est la naissance de la terre et du ciel lors de leur création. » (Gn 2, 4)
La première partie de la citation a été écrite sous les règnes de David et Salomon vers 950 av. J .C. et la seconde partie 350 ans plus tard pendant l’Exil à Babylone. On peut remarquer que l’ordre de la création n’est pas le même entre le ciel et la terre. Cela démontre que la chronologie et le comment de l’action de Dieu ne sont donc pas les préoccupations premières des auteurs. 

Le prophète Isaïe le confirme plus tard : « L’histoire actuelle est en attente de cieux nouveaux et d’une terre nouvelle. » (Is 65,17 ; 66, 22) Ce sont donc des interprétations symboliques pour nourrir une spiritualité car la pensée hébraïque, à ces époques, ne maniait pas les concepts intellectuels comme nous le faisons avec des abstractions. Elle recourait à des histoires imagées, un peu comme le sont les bandes dessinées, pour faire comprendre ses messages. Cette pratique existe toujours au Moyen-Orient. C’est la technique des paraboles de Jésus.



Donc ces deux versets ont fait couler beaucoup d’encre et impliqué de fausses interprétations comme, par exemple, le créationnisme en Amérique. C’est une théorie qui n’a rien à voir avec une compréhension éclairée et spirituelle du Pentateuque.
Les deux textes de la création sont le point départ du monde qui existe aujourd’hui avec l’intelligence humaine. Celle-ci, avec la foi, est le vis-à-vis de la transcendance divine.


Pourquoi Dieu Tout-Puissant nous a-t-il confié un monde perfectible ?
Cette question se pose d’emblée.
La parabole de la chute d’Adam et Eve est riche d’enseignements sur ce plan.
Les exégèses juive et chrétienne mettent en lumière la création du monde et de l’homme, et de la femme. L’exégète juif Armand Abécassis explique que Dieu nous enseigne par sa sagesse et qu’il est impossible de l’atteindre directement dans sa perfection, car si celle-ci existait ici-bas il n’y aurait pas d’espace pour l’homme et la liberté ne serait pas. 

Si la différence des sexes n’existait pas, l’unicité de l’homme impliquerait la non différenciation entre la nature divine et le genre humain. L’homme, rival de Dieu se passerait de lui. C’est pourquoi le projet de Dieu est intemporel et parfait dans son hypothèse primordiale mais qu’il se réalise peu à peu dans un monde temporel donc perfectible car inscrit dans l’histoire. 


La durée est en effet une perception propre à l’intelligence humaine.
Dieu, dans sa grande bonté, une de ses vertus fondamentales, a voulu que nous apprenions progressivement sa morale afin que nous puissions percevoir comment lui-même se comporte avec une grande délicatesse envers ses créatures.
Il le dévoile en s’adressant à Moïse dans le livre de l’Exode vers 1250 av. J.C.  : «  Le Seigneur, le Seigneur, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté, qui reste fidèle à des milliers de générations, qui supporte la faute, la révolte et le péché… » (Ex 34, 6-7) Il fait donc tout précéder par sa vertu de miséricorde, c’est-à-dire de tendresse et une attitude favorable à l’inclination. Cette vertu est la clef fondamentale pour le dévoilement du projet divin.

-Chagall : du Blanc au Noir-

Qui dit liberté dit risque.
La lecture des récits de création révèle donc symboliquement les vraies natures de Dieu et des hommes, la place et le rôle de l’homme, et sont donc des textes de libération. L’homme est libre mais cela comporte donc les risques d’erreurs, de fautes et de perversions, que la Bible appelle péchés.

La chute

L’homme commet des fautes qui le font chuter :
-Adam et Eve chutent et meurent ;
-Caïn tue son frère Abel et erre…

Se relever 

Le problème n’est donc pas la chute mais de savoir se relever :
-Noé, le seul juste restant, sauve le genre humain perverti et sauvegarde les espèces animales ;
-Abraham se questionne, se met debout, « part pour lui-même » et se convertit : il reçoit une alliance inconditionnelle.
-Par eux, tout homme possède l’énergie pour rétablir une relation de confiance identitaire et collective. 
-C’est enfin l’histoire du salut d’un peuple avec la constitution de son identité s’accomplissant à la sortie d’Egypte avec la grande figure de Moïse.

Une Alliance

Le Pentateuque aboutit donc à un pacte ou une Alliance avec les dix conditions pour assumer cette liberté. Ce sont les « dix commandements » ou la Loi : dix Paroles, révélées à Moïse, encadrant les initiatives humaines dans un vis-à-vis entre le créateur et ses créatures. Cette Loi est à relier avec la vertu de miséricorde divine pour comprendre que Dieu, en créant le monde et l’homme, a voulu que ce dernier ait une possibilité de perfectionnement ; c’est le point de départ d’une alliance entre le Créateur et ses créatures. C’est donc l’histoire de la liberté nécessaire à toute histoire d’amour : « Dieu conserve avec amour ce qu’il a créé. » (Sagesse 11, 24)   (6 avril 2020)


2. Tohu-bohu 


 « L’entre-deux » permet aux Hébreux de devenir des passeurs et des constructeurs du temps ...


-La Création par Ivan AIVAZOVSKY-

Pour comprendre des textes écrits il y a 3 000 ans par les hébreux, des orientaux, il faut au moins prendre en compte leur façon de penser et de concevoir le monde. 


Les orientaux anciens avaient besoin du support d'images pour exprimer leurs idées. Les grecs de l'antiquité, les sumériens et les égyptiens illustraient leurs pensées par les histoires mythologiques de leurs dieux qui évoluaient dans la nature. 


-Une illustration du poème d'Ovide : "Métamorphoses"-

Le Poète épicurien Ovide, sous l'empereur Auguste, vers 75, donne une étonnante vision de "l'origine du Monde" depuis le chaos primitif. Le processus de séparation et de différenciation, initié par "un dieu de la nature en progrès" aboutit à la création de l'homme.

Les hébreux, n'ont rien inventé  ils se sont appropriés les mythes païens de l'Egypte et de Sumer en les transformant en histoires symboliques : si l'homme vit dans la nature, la divinité n'y est pas présente. Cette absence est fondatrice car elle permet à la spiritualité de s'épanouir librement. 

Les Hébreux, véritables passeurs du temps vont inscrire cette relation, ce dialogue, cette parole dans leur histoire tout au long d'un millénaire, entre 1050 et 300 avant Jésus Christ. 

Pour exprimer une idée abstraite, en Orient, les hommes avaient besoin de les habiller par des histoires. Les Hébreux ont développé admirablement ce langage symbolique.




Le Dieu biblique est extérieur à la nature. De cette absence naît l'espace de la responsabilité et de la liberté. C'est pourquoi j'ai choisi des illustrations artistiques symboliques, abstraites, contemporaines pour évoquer le ressenti de Dieu par les juifs dont nous sommes les héritiers.





L'étude des Écritures est complexe car ses codes d'accès utilisent des images symboliques pour exprimer des concepts. L'art peut donc les rendre plus accessibles.

Selon Kandinsky, un art qui ne recèle pas en lui des forces d’avenir, c’est-à-dire un enfant de son époque et rien de plus, est un art castré et qui ne dure pas. L’art véritable recèle en lui une « force prophétique d’éveil ». Il participerait ainsi de la vie spirituelle orientée vers la connaissance. L’artiste serait « le voyant », lequel, grâce à la force mystérieuse implantée en lui, tire « en avant et vers les hauteurs le lourd et inerte chariot de l’humanité entravé par les pierres ».


-Wassily Kandinsjy (1866-1944)-
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-Tohu-Bohu d'après Mara Tranlong ( 2016)


TOHU et BOHU sont deux divinités païennes du chaos primitif qui nous renvoient au "Bing-Band" ; l'étude du texte biblique sur la création du monde est une bande dessinée qui met en scène la séparation de Tohu et de Bohu, c'est-à-dire des éléments de la nature.
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« Lorsque Dieu commença (a) la création (b) du ciel et de la terre, la terre était tohu-et-bohu, déserte et vide (c) , et les ténèbres couvraient l’abîme (d) ; le souffle (e) de Dieu planait à la surface des eaux, et Dieu dit (f) : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut (g). Dieu vit que la lumière était bonne. Dieu sépara (h) la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière « jour » et les ténèbres : « nuit ». Il y un soir, il y eut un matin, premier jour (i).
Dieu dit : «  Qu’il y ait un firmament (J) au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux (k) » Dieu fit le firmament et sépara les eaux inférieures au firmament d’avec les eaux supérieures. Il en fut ainsi. Dieu appela le firmament « ciel » ; Il y eut un matin : deuxième jour.
Dieu dit : « Que les eaux inférieures au ciel s’amassent en un seul lieu (l) et que le continent paraisse ! » Il en fut ainsi. Dieu appela « terre » le continent : il appela « mer » l’amas des eaux. Dieu vit que cela était bon. (m) » (Genèse 1, 1-8)


Explication du texte 

Je pense que ces œuvres d'art peuvent nous aider à comprendre la pensée des auteurs déportés par Nabuchodonosor en "Exil" à Babylone vers 550 avant Jésus Christ.

a) Le verbe commencer est la traduction française de « Entête », « Début » ou « En un commencement ».
b) A l’origine la création, selon les mythes sumériens, était décrite comme une lutte des divinités contre le chaos. Dans le texte biblique, Dieu est seul et prend seul l’initiative de créer.
c) Désert et vide sont nommés « Tohu-et-Bohu » dans la Bible. Cette expression désignait les deux divinités antagonistes du chaos primordial que Dieu fendit ou sépara. Dans le langage courant, elle signifie la confusion, l’informe… en quelque sorte un grand désordre anarchique. L’auteur choisit avec soin les éléments par lesquels il évoque l’état du chaos primitif avant l’acte créateur. Tohu-bohu signifie aussi l’absence de toute vie dans ces eaux primordiales. Pour la pensée sumérienne avant l’action créatrice des dieux, l’univers était une masse d’eau informe que les dieux ont séparée en deux avant de faire paraître la terre soutenue par des colonnes. Au dessus, ils ont fait une voûte solide retenant les eaux primordiales. Puis ils ont modelé les hommes avec de l’argile en leur faisant une bouche menteuse. Ces êtres n’étaient destinés qu’à leur service et étaient sans importance et sans avenir. Les prêtres juifs, déportés à Babylone entre 587 et 538 av. J.C., prennent connaissance de cette mythologie et la démythifient pour servir de support à leur méditation sur le mystère d’Israël. Ils se servent de l’enveloppe mais donne un tout autre sens au contenu.
d) Les ténèbres et l’abîme rappellent les masses informes, le vide et les énergies de l’univers pas encore organisées et équilibrées. Les ténèbres étaient, comme la mer, le symbole des forces du mal dans le monde. Donc dès l’origine, la Bible prend en compte l’existence du mal. Il y a « un entre deux » entre le bien et le mal : ce sera la liberté et le choix.
e) Le souffle de Dieu permet la vie. Dans ce verset, il est encore à l’extérieur de la masse des eaux primordiales. Ce souffle, « Esprit de Dieu » est comme un vent violent tout puissant qui va fendre, séparer et ordonner les éléments.
f) Dieu dit. Dès le commencement Dieu parle. Il crée par la Parole. La Loi divine est Parole. La Bible est la Parole de Dieu, mais elle l’est de telle façon que Dieu s’identifie avec la parole humaine, avec des énoncés humains et littéraires. C’est dans ce sens que l’hébreu est la langue du passage ou de « l’entre-deux » entre ce que « Dieu dit et ce que Dieu fit. »
g) La lumière est le premier élément voulu par Dieu. Symboliquement, elle n’est pas seulement visible, mais elle est lumière de vie et de joie. La lumière est en hébreu rattachée au mot hébreu qui signifie « œil » et ce dernier mot signifie « Voyons voir ».
h) Séparer, Certaines traductions bibliques emploient le verbe « fendre » Ce verbe est très important pour bien comprendre le texte. Dieu « fend » tohu-et-bohu. Il crée ainsi un « entre deux » pour reprendre l’expression chère au philosophe et psychanalyste Daniel Sibony. Toute la suite du texte de la création en six jours va se construire sur ces « entre-deux ». Plus tard, Moïse fendra la mer Rouge pour que le peuple passe « entre deux » masses d’eau. Dieu, sous la forme du feu, passera « entre » les morceaux d’animaux sacrifiés pour signifier son alliance avec Abraham. « L’entre-deux » fait aussi apparaître les différences entre Caïn et Abel, les frères rivaux, entre Adam et Eve, homme et femme, mâle et femelle. Ces « entre-deux » permettent la vie et la liberté et sont donc très symboliques dans les textes du Pentateuque. La différenciation et la sexualité sont la signature de Dieu et la parole n’est possible que dans un monde fait d’entre-deux et de différences.
i) Soir et jour : Ce texte fut rédigé à une époque où les juifs comptaient les jours à partir du soir.
j) Firmament : la voûte du ciel était pour les sumériens un élément solide qui retenait les eaux primordiales. Le soleil, la lune et les étoiles étaient accrochés à cette voûte comme des luminaires. Les juifs, déportés à Babylone, dans l’état de leurs connaissances, reprennent à leur compte cette cosmogonie.
k) Les eaux : Dieu fend les eaux primordiales pour séparer les eaux d’en haut, retenues par le firmament, ou la voûte du ciel, des eaux d’en bas, la mer.
l) Un seul lieu : Cela veut dire que les eaux inférieures, la mer, se rassemblèrent et que le sec, la terre ou le continent, parut à la surface des éléments liquides.
m) Dieu vit que cela était bon : Cette phrase est répétée sept fois dans le texte sacerdotal. Le chiffre sept symbolise la plénitude, la totalité, l’universalité : «  Il en fut ainsi. Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. » (Gn 1,30-31). La réalité du monde est donc bonne. Cette prise de position des exilés à Babylone, est à prendre en considération car la spiritualité juive prend le contre-pied de la pensée babylonienne issue de la civilisation sumérienne : Dieu a un projet parfait , ce qu’il crée est donc par nature positif. Concrètement cela veut dire que l’on peut espérer car Dieu n’est pas un fantoche : si Dieu a libéré nos ancêtres de l’esclavage au temps de Moïse, il le fera à nouveau en fendant Babylone et sa tour (la tour de Babel) comme il a fendu la mer Rouge et nous retrouverons notre liberté et notre terre.



-Le chaos du Tohu-bohu-
Gravure selon la description d'Ovide, Les Métamorphoses
par Antoine de Sommaville 1655

Ces premiers versets de la Bible sont donc comme un ébranlement du tohu-bohu faisant entrer le monde dans le champ d’une parole symbolisante.


-Tohu et Bohu par Mauricce Estève-


Cette Parole dit toute chose mais autrement que par la raison purement humaine.
Ce récit symbolique est donc comme une préface du Pentateuque pour faire sentir que le concept divin est infiniment au-delà de tout l’univers.

-ESPACE ET TEMPS structurés-
Quand j'ai réalisé ce dessin faisant partie d'une série de 5 pastels en 2001, j'étais en pleine étude de l'Ancien Testament car j'enseignais la culture de nos racines occidentales à des groupes d'adultes. 
La civilisation égyptienne confrontée à la pensée sumérienne étaient des portes d'entrées pour découvrir la richesse anthropologique de la Bible. L'art fut au centre de mes recherches car si l'exégèse se fonde sur l'étude d'un texte, les artistes ressentent les choses cachées et c'est pour moi un complément culturel essentiel pour la compréhension des écrivains bibliques.

Ce dessin, alliant donc la dynamique du christianisme aux sources des écritures bibliques, représente aussi mon visage avec un nez de clown. Cette autodérision me rappelle que ma connaissance de la Bible et de son contexte historique sont plus fondés sur l'ignorance et le doute que sur l'exégèse. L'important c'est de chercher et transmettre... et ça, je sais faire...

Quand le Dieu biblique crée, cela veut aussi dire qu’il met en ordre un univers matériel où la vie apparaît avec sa diversité et ses hiérarchies. A chaque action se crée un espace en séparant les éléments et par sa Parole Dieu crée une dynamique formidable :« Dieu dit… Dieu fit…».




Par exemple, le Soleil et la lune ne sont pas là seulement pour éclairer : ils déterminent un « entre-deux », le temps. En effet, pas de vie humaine, pas de vie familiale sans symbole rythmant la durée et l’alternance par le jour et la nuit. Les fêtes conviviales ou rituelles, le coucher et le lever du soleil sont des repères « entre lesquels » la vie quotidienne, le travail, les repas, le repos et l’intimité conjugale peuvent s’organiser et permettre à l’homme de vivre en société en se réservant aussi des moments personnels.
Aux sept jours de la création correspond l’ordre des jours de la semaine, autant « d’entre-deux ».
-Tohu-bohu par Eliora Bousquet-


Aujourd’hui, la science parle du début de l’univers il y a 13,7 milliards d’années avec le « Bing-bang ». On peut remarquer qu’intuitivement les Écritures n’entrent pas en contradiction avec les hypothèses scientifiques actuelles.
Les religions monothéistes (juive et chrétiennes) les reconnaissent et acceptent la séparation de la pensée profane avec l’ordre du transcendant. Cet aspect est fondamental pour l’évolution de certaines religions. 

Par exemple, la pensée islamique radicale ne supporte pas la sécularisation occidentale car Dieu est omniprésent dans la nature.


Un Dieu d'ordre et de loi ?

C'est l'image traditionnelle d'un Dieu Tout-Puissant que je combats et à laquelle je ne crois pas.
En étudiant la Bible, j'ai découvert une liberté de pensée, un espace d'actions et d'initiatives, une fraternité concrète et un appel à l'humilité.
Le Dieu que je cherche est celui de l'invitation...Est-ce que je le trouve ?
Je ne le sais pas !

-L'Ancien des Jours par William Blake (1757-1827) -
- Whitworrth Art Gallery. Manchester-

"Cette gravure-aquarelle révèle une vision de l'artiste sur Dieu. Il le perçoit comme un personnage maléfique, oppressif et faiseur de lois : pour Blake, Dieu circonscrit l'imagination, seule source de bonheur." (Wendy Becckett)

Je ne partage pas cette perception rigide de Dieu. Car dans la Bible, Dieu confie la nature à l'homme qui doit la gérer avec amour et respect. Le Tohu-bohu symbolise cette séparation par exemple entre le sacré et le profane? Cet "entre-deux" dans notre société occidentale est ce qui permet à la liberté de s'exprimer dans la recherche scientifique et ses applications, la création artistique sous toutes ses formes, la gestion politique des communautés humaines, les engagements dans l'amour partagé. (3 avril 2020)



1- "Le Vent souffle où il veut."

La Bible n'a pas pour objectif encourager l'Art ; elle fait plus et beaucoup mieux : elle l'inspire.

Que ce soit pour la musique, la danse, le chant, la poésie, l'éloquence, la calligraphie, la littérature, l'architecture, le dessin, la peinture, la sculpture, la poterie, les arabesques, la bande dessinée..., toutes les expressions artistiques puisent dans le symbolisme des "Écritures".

La Bible n'est certes pas à l'origine de l'art mais elle en est une terre fertile qui donne d'extraordinaires fruits.


- Une de mes acryliques naïves sur le thème de "La Création", réalisée pour la chapelle de l'établissement hospitalier public de Grugny 76-

J'ai la chance d'avoir enseigné durant 25 ans une vulgarisation de la culture judéo-chrétienne et de réaliser plusieurs commandes picturales pour des chapelles ou églises, c'est pourquoi le prisme de l'art me permet d'illustrer mes recherches.


Entendons-nous bien, c'est en homme dégagé de tout esprit de militantisme religieux que je m'engage dans cette aventure. Je sépare en effet le sacré du profane et la foi de la culture mais je sais que l'art est aussi indissociable de la culture biblique.

Je ne sais pas si la foi m'habite ; ce sont le doute existentiel et la recherche des racines de notre civilisation qui éveillèrent ma curiosité.

Le "pourquoi" la vie m'intéresse d'avantage que son "comment" et la culture a fait de moi un homme libre avant tout. 

D'ailleurs il n'y a pas d'amour sans liberté et j'ose affirmé qu'il n'y a pas de Dieu sans cela.


-Détail de la "Naissance de Vénus" d'après Botticelli-
-Musée des Offices-Florence-Italie-

Pourquoi commencer par une œuvre totalement profane  telle que "La Naissance de Vénus" d'après Botticelli ?

Universellement apprécié ce chef-d'œuvre de la Renaissance (1484) illustre le vent, le souffle de la vie. La déesse romaine de l'Amour, de la Séduction et de la Beauté est aussi celle de la végétation et des jardins. 

Zéphyr (personnalisation du Vent d'Ouest), enlacé par sa compagne la nymphe Chloris (personnifiant la Végétation), le vent en gonflant leurs joues pour pousser Vénus vers le rivage où une nymphe l'attend pour la revêtir du manteau du Printemps, symbole du renouveau de la nature, de la sexualité et la fertilité. 

Ce tableau exprime aussi pour moi un aspect méconnu de la divinité biblique : Dieu est autant masculin que féminin et c'est pourquoi j'ai sélectionné les souffles de Zéphyr et Chloris car la Bible a toujours récupéré les mythes païens les transformant en histoires symboliques. C'est sa façon de faire de la philosophie et de réfléchir sur leur sens.

Vénus serait née des testicules de son père assassiné, Ouranos, dont le sang aurait fécondé la mer (ça c'est l'enveloppe du mythe antique qui sert de support au développement de la réflexion hébraïque dont la recherche de signification va s'articuler autour de la dualité sexuelle : Homme + Femme = Vie). 
Dans le parcours que je propose, cette complémentarité deviendra la principale source d'inspiration des artistes ressentant les histoires, les figures bibliques d'une façon étonnamment intuitive. Une œuvre d'art ne remplace pas la théologie et l’exégèse mais les éclaire, les transcende en nous montrant ce que la divinité n'est pas. C'est dans ce sens que je vous propose de me suivre.

Vénus est la déesse la plus désirée par les dieux de la mythologie romaine, grecque, sumérienne, babylonienne, akkadienne (sous d'autres noms). 

Cette plus belle femme de l'univers est représentée par Botticelli sous les traits d'une jeune-fille, Simonetta Vespuci, décédée à 23 ans d'une pneumonie foudroyante.  



L'artiste pose un regard d'une radieuse pureté sur ce nu qui exprime la douceur, la plénitude sans aucun arrière-sentiment trivial car, pour lui, la beauté se confond avec la sainteté. D'ailleurs cette jeune-fille est aussi le modèle pour "La Vierge à l'Enfant et huit anges" exposée à Berlin.

Essayer de sortir de l'interprétation classique des spécialistes religieux (exégètes et théologiens) m'a toujours intéressé et il y a souvent une fenêtre possible pour cela. Soulever le voile de l'histoire biblique dans ce sens avec les artistes qui ressentent d'avantage qu'ils expliquent est une approche culturelle assez singulière car à première vue, par exemple, la Vénus de Botticelli n'a aucun rapport avec le Dieu des chrétiens sauf qu'elle est aussi le modèle de la Vierge. 
Botticelli ressentait ainsi le mystère féminin qu'il transcendait.



J'ai choisi ces œuvres pour montrer que l'Art est libre comme le vent. 

Et saint Jean affirme dans l'évangile que "le Vent souffle où il veut" (Jn 3, 8-21), ou autrement dit l'Esprit de Dieu est libre comme un courant d'air.

J'espère que ces vents tourbillonnants vous passionneront...              (18 mars 2020)